Quelle juridiction saisir en cas de dommage financier international ?

Les dommages financiers sont ceux qui résultent de mauvais placements. Les placements peuvent être internationaux. Se pose alors la question de la compétence internationale. En application de l’article 7 2) du Règlement n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile  et commerciale, la victime du préjudice peut assigner le responsable en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire. Cette disposition a donné lieu à de nombreux arrêts de la Cour de Justice.

Elle considère que deux lieux peuvent être considérés à ce titre, le lieu de la matérialisation du dommage et le lieu de son évènement causal.  L’arrêt du 12 mai 2021 (CJUE, 12 mai 2021, C-709/19, Veriniging van Effectenbezitters contre BP plc) portait sur la détermination de la matérialisation du dommage financier. Le litige opposait une association d’actionnaires (VEB) à BP (société pétrolière et gazière). A la suite d’une explosion sur la plate-forme Deepwater Horizon, dans le golfe du Mexique, l’association des actionnaires ayant acquis des titres BP agit contre cette société pour obtenir des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la baisse des titres, les actionnaires ayant notamment été mal informés des mesures de sécurité et de maintenance. BP a contesté la compétence de la juridiction néerlandaise saisie à cette fin.

La procédure se poursuit jusque devant la Cour de cassation qui décide de poser quatre questions préjudicielles à la Cour de Justice. Les première et deuxième questions sont ainsi résumées par la Cour de Justice : «  la juridiction de renvoi demande… si l’article 7, point 2, du règlement no 1215/2012 doit être interprété en ce sens que la survenance directe, sur un compte d’investissement, d’un préjudice purement financier résultant de décisions d’investissement prises à la suite d’informations aisément accessibles sur le plan mondial, mais inexactes, incomplètes ou trompeuses provenant d’une société internationale cotée en bourse permet, dans certaines circonstances, de retenir, au titre de la matérialisation du dommage, la compétence internationale d’une juridiction de l’État membre dans lequel est établie la banque ou l’entreprise d’investissement sur le registre de laquelle le compte est inscrit, lorsque ladite société n’était pas soumise à des obligations légales de publicité dans cet État membre. »

La Cour avait précédemment jugé que la notion de lieu où le fait dommageable s’est produit  lieu de matérialisation du dommage « ne vise pas le lieu du domicile du demandeur où serait localisé le centre de son patrimoine au seul motif qu’il y aurait subi un préjudice financier résultant de la perte d’éléments de son patrimoine intervenue et subie dans un autre État membre (arrêts du 10 juin 2004, Kronhofer, C–168/02, EU:C:2004:364, point 21, ainsi que du 16 juin 2016, Universal Music International Holding, C–12/15, EU:C:2016:449, point 35). »

En ce qui concerne le lieu de matérialisation du dommage, la Cour rappelle qu’ « il n’est pas exclu que ce lieu soit situé au domicile du défendeur lorsque le dommage allégué se réalise directement sur un compte bancaire du demandeur auprès d’une banque établie dans le ressort de cette juridiction  (CJUE,  12 septembre 2018, Löber, C–304/17, EU:C:2018:701, point 28 et jurisprudence citée) ».

Cependant, elle ne retient pas cette solution en l’espèce. Selon la Cour, l’objectif de prévisibilité poursuivi par la prise en compte de la matérialisation du dommage ne peut être assuré lorsque l’émetteur de titres n’est pas soumis à des obligations légales de publicité. Elle considère dans ce cas que «  les critères relatifs au domicile et à la localisation des comptes des actionnaires ne permettent pas à la société émettrice d’anticiper la détermination de la compétence internationale des juridictions devant lesquelles elle pourrait être attraite, ce qui serait contraire à l’objectif, visé au considérant 16 du règlement no 1215/2012, consistant à éviter, afin de garantir le principe de sécurité juridique, la possibilité que le défendeur soit attrait devant une juridiction d’un État membre qu’il ne pouvait pas raisonnablement prévoir. »

Elle poursuit en ces termes :  « Il s’ensuit que, dans le cas d’une société cotée en bourse, telle que celle en cause au principal, seule la compétence des juridictions des États membres dans lesquels cette société a satisfait, aux fins de sa cotation en bourse, aux obligations légales de publicité peut être établie au titre de la matérialisation du dommage. C’est en effet uniquement dans ces États membres qu’une telle société peut raisonnablement prévoir l’existence d’un marché d’investissement et l’engagement de sa responsabilité. »

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