Compétence en matière d’avant-contrat de franchise international

Dans un litige relevant de la matière civile et commerciale, il convient de mettre en œuvre le règlement (UE) no 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2012, L 351, p. 1, ci-après le « règlement Bruxelles I bis ») pour déterminer la juridiction ou les juridictions compétentes.

Dès lors qu’il est applicable, ce règlement contient des règles exclusives prévues à l’article 24. Il permet également aux parties de prévoir dans leur contrat ou dans les conditions générales une clause attributive de juridictions conformément à l’article 25 du règlement relatif aux prorogations de compétence. Cette compétence est en principe également exclusive. A défaut d’application de règles exclusives, la protection de certaines personnes, les assurés, les consommateurs ou encore les travailleurs fonde des règles de compétence particulière prévues par les articles 10 et suivants (assurance) 17 et suivants ( contrat de consommation) et 20 et suivants (contrats individuels de travail).

En dehors de ces hypothèses, il convient de mettre en œuvre le principe conformément à l’article 4 paragraphe 1 du règlement aux termes duquel « Sous réserve du présent règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre. » En vertu de l’article 5 paragraphe 1: « Les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre ne peuvent être attraites devant les juridictions d’un autre État membre qu’en vertu des règles énoncées aux sections 2 à 7 du présent chapitre ».

Or, la section 2 du règlement contient un article 7 qui pose des règles de compétence qui varient en fonction de l’objet du litige. La matière contractuelle est l’une de celles-ci. Lorsque le litige porte sur la matière contractuelle, notion autonome soumise à la seule interprétation de la Cour de justice de l’Union européenne, l’article 7 1) permet de déterminer une juridiction spécialement compétente.

Encore convient-il de préciser avant de l’étudier que bien que ses dispositions soient appliquées restrictivement par la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE, 8 mai 2019, Kerr, C‑25/18, point 22 et jurisprudence citée, il ne renvoie nullement à une compétence exclusive de celle résultant de l’article 4 du règlement. En effet, comme l’indique l’introduction au différentes compétences spéciales, « Une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite dans un autre État membre:.. », ce qui signifie que la compétence issue de la mise en œuvre de l’article 7 s’ajoute à celle résultant de l’article 4 dans la mesure où elle permet de diriger l’action vers un autre Etat membre que celui du domicile du défendeur.

En matière contractuelle, la compétence se détermine en fonction de lieu d’exécution qui sert de base à la demande, la juridiction de ce lieu étant compétente. Cette solution est affirmée généralement par l’article 7 1) a) selon lequel une personne domiciliée sur le territoire d’un Etat membre «  peut être attraite «  en matière contractuelle, devant la juridiction du lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande.» Elle est précisée par l’article 7 1) b) qui dispose : »aux fins de l’application de la présente disposition, et sauf convention contraire, le lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande est:

— pour la vente de marchandises, le lieu d’un État membre où, en vertu du contrat, les marchandises ont été ou auraient dû être livrées,

— pour la fourniture de services, le lieu d’un État membre où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis; »

Lorsque l’on est en présence d’un contrat de vente de marchandises ou un contrat de prestation de service, le b) doit être appliqué. Si ce n’est pas le cas, le a) reprend son empire (art. 7 1)c)). Ces notions relèvent également de la Cour de Justice car elles sont autonomes. Comme l’a jugé à des maintes reprises la Cour  de Justice : « Conformément à une jurisprudence constante, les termes « matière contractuelle » et « fourniture de services », visés respectivement à l’article 7, point 1, sous a), et à l’article 7, point 1, sous b), second tiret, du règlement Bruxelles I bis, doivent être interprétés de façon autonome, en se référant principalement au système et aux objectifs de ce règlement, en vue d’assurer l’application uniforme de celui-ci dans tous les États membres. Ils ne sauraient, dès lors, être compris comme renvoyant à la qualification que la loi nationale applicable donne au rapport juridique en cause devant la juridiction nationale (voir, en ce sens, arrêt du 14 juillet 2016, Granarolo, C‑196/15, EU:C:2016:559, point 19 et jurisprudence citée). »

Il n’appartient donc pas aux juridictions nationales, comme notamment la Cour de cassation en France, d’interpréter ces notions. Elles doivent, conformément au principe de primauté retenu par la Cour de Justice dans l’arrêt Costa contre Enel en 1964, appliquer la jurisprudence de la Cour de Justice. Chaque fois qu’il y a lieu d’hésiter sur un contrat de cette nature, les juridictions nationales peuvent ou doivent poser une question préjudicielle à la Cour de Justice.

Tel était le cas d’un avant-contrat relatif à la conclusion future d’un contrat de franchise qui a donné lieu à un arrêt de la Cour de Justice du 14 septembre 2023 (CJUE, 14 septembre 2023, EXTÉRIA s.r.o. contre Spravime, s.r.o.,C-393/22). La Cour avait été saisie par une Cour de cassation tchèque pour répondre à la question suivante (telle que reformulée par la Cour de Justice) : «… l’article 7, point 1, sous b), du règlement Bruxelles I bis doit être interprété en ce sens qu’un avant-contrat, relatif à la conclusion future d’un contrat de franchise, prévoyant une obligation de paiement d’une pénalité contractuelle fondée sur la non-exécution de cet avant-contrat, obligation contractuelle dont la violation sert de base à une demande en justice, relève de la notion de contrat de « fourniture de services », au sens de cette disposition ».

Le litige opposait une société tchèque (Extéria) à une société slovaque (Spravime).

Extéria qui fournissait des services de conseil dans le domaine de la sécurité et de la santé au travail avait conclu  avec Spravime un avant-contrat relatif à la conclusion future d’un contrat de franchise devant permettre à cette dernière d’exploiter et de gérer des succursales franchisées d’Extéria en Slovaquie. L’avant-contrat prévoyait notamment que Spravime devait payer dans les 10 jours de sa signature une avance d’un montant de 20 400 euros. A défaut, elle encourait une pénalité et Extéria pouvait se rétracter. Soumis au droit tchèque, le contrat ne contenait pas de clause attributive de juridiction. Le paiement n’est pas intervenu, ce qui a conduit Extéria à agir devant une juridiction tchèque pour le paiement de la pénalité (procédure d’injonction de payer européenne). La juridiction de première instance a rejeté l’exception d’incompétence des juridictions tchèques soulevée par la société slovaque et retenu sa compétence sur le fondement de l’article 7, point 1, sous a), du règlement Bruxelles I bis, car elle considérait que le litige avait pour objet l’exécution d’une obligation, à savoir l’obligation de paiement de la pénalité contractuelle, qui devait être exécutée au lieu du siège social de la société tchèque. La décision a été confirmée en appel, la Cour jugeant que le  recours avait pour objet le droit au paiement de la pénalité contractuelle, qu’il n’était pas lié à la production ou à la livraison de marchandises, de telle sorte que l’article 7, point 1, sous b), du règlement Bruxelles I bis ne s’appliquait pas, contrairement à l’article 7, point 1, sous a), de ce règlement, le lieu d’exécution de l’obligation de paiement devant être déterminé selon le droit de la juridiction saisie, en l’occurrence le droit tchèque. La société slovaque a formé un pourvoi en cassation devant la Cour de cassation qui a décidé de poser la question préjudicielle précitée.

La Cour de justice rappelle dans un premier temps tous les principes d’interprétation de ces dispositions. Nous avons déjà vu que l’appréciation doit être restrictive. Mais l’interprétation doit également suivre les objectifs de prévisibilité et de sécurité : « La règle de compétence spéciale en matière contractuelle, prévue à l’article 7, point 1, du règlement Bruxelles I bis, répond à un souci de proximité et se trouve motivée par l’existence d’un lien de rattachement étroit entre le contrat concerné et le tribunal appelé à en connaître. Ainsi, la règle générale de la compétence des juridictions du domicile du défendeur, visée au point 27 du présent arrêt, est complétée par cette règle de compétence spéciale en matière contractuelle, en application de laquelle le défendeur peut également être attrait devant le tribunal du lieu où l’obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée (voir, en ce sens, arrêt du 23 avril 2009, Falco Privatstiftung et Rabitsch, C‑533/07, EU:C:2009:257, points 24 et 25). »

Elle ajoute que : « En ce qui concerne le lieu d’exécution des obligations contractuelles découlant d’un contrat de fourniture de services, l’article 7, point 1, sous b), second tiret, du règlement Bruxelles I bis définit, de manière autonome, le critère de rattachement à l’égard de ce contrat comme étant le lieu d’un État membre où, en vertu dudit contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis, afin de renforcer les objectifs d’unification et de prévisibilité des règles de compétence judiciaire, et, dès lors, de sécurité juridique. Ce critère de rattachement autonome a vocation à s’appliquer à toutes les demandes fondées sur un même contrat de fourniture de services (voir, en ce sens, arrêts du 23 avril 2009, Falco Privatstiftung et Rabitsch, C‑533/07, EU:C:2009:257, points 26 et 27, ainsi que du 11 mars 2010, Wood Floor Solutions Andreas Domberger, C‑19/09, EU:C:2010:137, point 23). » (voir point n° 30).

Puis elle se réfère à sa jurisprudence précédente relative à ces dispositions pour en appliquer les orientations à la situation de l’espèce. Tout d’abord, elle dit que l’avant-contrat relève bien de la matière contractuelle. Ensuite elle se fonde notamment sur l’arrêt Falco Privatstiftung et Rabitsch  qui a défini la notion de services comme impliquant «  pour le moins, que la partie qui les fournit effectue une activité déterminée en contrepartie d’une rémunération (voir, notamment, arrêts du 23 avril 2009, Falco Privatstiftung et Rabitsch, C‑533/07, EU:C:2009:257, point 29, ainsi que du 15 juin 2017, Kareda, C‑249/16, EU:C:2017:472, point 35). »

Selon la Cour, l’activité doit résulter d’actes positifs, à l’exclusion de simples abstentions et précise que «  À cet égard, s’agissant d’un contrat ayant pour objet la distribution des produits de l’une des parties par l’autre partie, la Cour a jugé que ce critère correspond à la prestation caractéristique fournie par la partie qui, en assurant une telle distribution, participe au développement de la diffusion des produits concernés (voir, notamment, arrêts du 19 décembre 2013, Corman-Collins, C‑9/12, EU:C:2013:860, point 38, et du 14 juillet 2016, Granarolo, C‑196/15, EU:C:2016:559, point 38).

En ce qui concerne le second critère, la Cour a admis que la rémunération ne résulte pas simplement du versement d’une somme d’argent. Le fait de bénéficier d’un ensemble d’avantages représentant une valeur économique peut être considérée comme étant constitutive d’une rémunération ( CJUE, 19 décembre 2013, CormanCollins, C‑9/12, oint 39, et du 14 juillet 2016, Granarolo, C‑196/15, point 40).

Or, selon la Cour, l’avant-contrat ne remplissait pas ces conditions contrairement au contrat de franchise futur qui aurait dû être exécuté en vertu de celui-ci. Cet avant-contrat ne prévoyait pas d’activité particulière de la société tchèque (absence de prestation) ni de rémunération (la pénalité ne peut être considérée comme telle). Selon la Cour, il convient donc dans une telle hypothèse d’appliquer l’article 7 1) a) du règlement pour déterminer la compétence.