La Cour de justice vient de rendre, le même jour, soit le 13 octobre 2022, deux arrêts concernant les agents commerciaux.
Le Premier arrêt (CJUE, 13 oct. 2022, C‑64/21, Rigall Arteria Management sp. z o.o. sp.k. contre Bank Handlowy w Warszawie S.A.) a été rendu dans le cadre d’une question préjudicielle posée par une juridiction polonaise,plus précisément sur l’interprétation de l’article 7, paragraphe 1, sous b), de la directive 86/653/CEE du Conseil, du 18 décembre 1986, relative à la coordination des droits des États membres concernant les agents commerciaux indépendants (JO 1986, L 382, p. 17).
Le litige opposait deux sociétés, dont l’une était une banque, liées par des contrats d’agence commerciale portant sur l’exécution d’une activité d’intermédiation financière, y compris l’intermédiation dans l’exercice d’activités accessoires et promotionnelles liées au service et à l’acquisition de cartes de crédit ainsi que d’autres services financiers proposés par la banque. La rémunération de l’agent dépendait du nombre de contrats conclus grâce à l’intervention de l’agent. Le contrat d’agence prévoyait également que l’agent avait droit à une prestation compensatoire à la fin du contrat épuisant l’intégralité de la prestation compensatoire à laquelle l’agent avait droit. La banque ayant résilié le contrat, l’agent commercial lui a demandé de fournir des informations sur la commission qui lui était due pour la période allant du 1er juin 1999 au 31 janvier 2015. Mais la banque a refusé de transmettre d’autres informations que celles qu’elle avait communiquées avant la résiliation du contrat, en considérant que les informations communiquées jusqu’alors correspondaient à la rémunération totale due en vertu des contrats d’agence conclus et que les informations demandées étaient couvertes par le secret bancaire. C’est pourquoi l’agent commercial a saisi le juge polonais compétent en première instance qui a rejeté ses demandes, la Cour saisie en appel confirmant l’essentiel de l’argumentation de la juridiction de première instance, ce qui a conduit l’agent commercial à former un pourvoi en cassation. Cette dernière juridiction a posé la question préjudicielle suivante à la Cour de Justice de l’Union européenne : « L’article 7, paragraphe 1, sous b), de la directive [86/653] doit-il être interprété, eu égard à son libellé et à son objectif, en ce sens qu’il confère à l’agent commercial indépendant un droit absolu à une commission sur un contrat conclu pendant la durée du contrat d’agence avec un tiers dont il a obtenu antérieurement la clientèle pour des opérations du même genre, ou ce droit peut-il être exclu dans le contrat ? »
La Cour prend le soin de préciser que la directive 86/653, sur les agents commerciaux ne s’applique pas aux services financiers. La notion d’« agent commercial » figurant à son article 1er, paragraphe 2, ne s’applique qu’aux agents commerciaux chargés, de façon permanente, soit de négocier, soit de négocier et de conclure la vente ou l’achat de marchandises. Mais elle retient sa compétence notamment parce qu’il existe un intérêt certain à ce que, « pour éviter des divergences d’interprétation futures, les dispositions ou les notions reprises du droit de l’Union reçoivent une interprétation uniforme, quelles que soient les conditions dans lesquelles elles sont appelées à s’appliquer ».
La Cour reformule la question posée par la juridiction polonaise en ces termes : « l’article 7, paragraphe 1, sous b), de la directive 86/653 doit-il être interprété en ce sens qu’il ne peut être dérogé contractuellement au droit que cette disposition confère à l’agent commercial indépendant de percevoir une commission pour l’opération conclue, pendant la durée du contrat d’agence, avec un tiers dont cet agent a obtenu antérieurement la clientèle pour des opérations du même genre. »
Il convient de rappeler que l’article 7, paragraphe 1, de la directive 86/653 prévoit que l’agent commercial a droit, pour une opération commerciale conclue pendant la durée du contrat d’agence, à la commission lorsque l’opération a été conclue grâce à son intervention ou lorsque l’opération a été conclue avec un tiers dont il a obtenu antérieurement la clientèle pour des opérations du même genre.
L’article 7, paragraphe 1, de la directive 86/653 a été transposé dans le droit polonais par l’article 761, paragraphe 1, de l’ustawa – Kodeks cywilny (loi portant code civil), du 23 avril 1964 en ces termes : « L’agent peut exiger une commission sur les contrats conclus pendant la durée du contrat d’agence, si ceux-ci résultent de son activité ou s’ils ont été conclus avec des clients dont il avait obtenu antérieurement la clientèle pour des contrats du même genre. »
Afin de décider du droit à commission éventuel de l’agent, la Cour s’interroge sur la caractère impératif de l’article 7 afin de déterminer s’il est possible aux parties de déroger aux modalités de rémunération de l’agent qui y sont retenues.
La Cour remarque tout d’abord que le caractère impératif de l’article 7 n’est expressément retenu.
Pour décider ce caractère, il convient en premier lieu de prendre en compte le contexte de cette disposition. La Cour note que l’économie générale de la directive 86/653 conduit à dire que, lorsqu’il n’est pas permis de déroger à l’une de ses dispositions, le législateur de l’Union a pris soin de l’indiquer. Elle cite en ce sens plusieurs articles de la directive : l’article 10, paragraphe 4, l’article 11, paragraphe 3, l’article 12, paragraphe 3.
Puis elle observe qu’une interprétation l’article 6 § 1 de la directive 86/653 que le niveau de la rémunération de l’agent dépend, à titre principal, de l’accord des parties. Elle en déduit que l’on ne peut retenir que l’article 7 a un caractère impératif.
Il convient en second lieu de prêter attention aux objectifs de la directive. Il s’agit de « protéger les agents commerciaux dans leurs relations avec leurs commettants », de « promouvoir la sécurité des opérations commerciales » et de « faciliter les échanges de marchandises entre États membres en rapprochant les systèmes juridiques de ces derniers dans le domaine de la représentation commerciale (arrêts du 23 mars 2006, Honyvem Informazioni Commerciali, C‑465/04, EU:C:2006:199, point 19, et du 16 février 2017, Agro Foreign Trade & Agency, C‑507/15, EU:C:2017:129, point 29). »
Or, selon la Cour, une interprétation de l’article 7, paragraphe 1, sous b), de la directive 86/653 qui lui conférerait une portée impérative ne conduirait pas nécessairement à une protection accrue des agents commerciaux (point n° 35). Elle reprend en ce sens la position de l’avocate générale qui avait estimé dans ses conclusions que « il ne saurait être exclu que, en pareille circonstance, certains commettants compenseraient le coût de la commission qui serait nécessairement due pour l’opération conclue, pendant la durée du contrat d’agence, avec un tiers dont l’agent a obtenu antérieurement la clientèle pour des opérations du même genre, en réduisant le taux de la commission de base, en limitant ou en excluant les frais antérieurement remboursés ou d’autres éléments de la rémunération, voire renonceraient à nouer une relation contractuelle avec un agent commercial. »
Enfin la Cour considère que cette interprétation est corroborée par la genèse de la directive 86/653 qui révèle que l’article 7 après avoir été énuméré dans une liste de dispositions impératives en a été retiré.
Tout cela a conduit la Cour à considérer que l’article 7 a une nature supplétive (points n° 37 et 38). En conséquence il peut y être dérogé contractuellement. Il n’oblige nullement les parties à assurer à l’agent le cumul des rémunérations qui y sont prévues. En l’espèce, la banque pouvait donc s’opposer conformément au contrat, au droit revendiqué par l’agent commercial dès lors qu’il n’admettait que les commissions résultant de l’intervention directe de l’agent.
Le deuxième arrêt rendu par la Cour (CJUE, 13 octobre 2022, NY contre Herios SARL, C-593/21) était relatif à l’indemnité d’éviction de l’agent commercial. La Cour de Justice saisie à titre préjudiciel a dû interpréter l’article 17, paragraphe 2, sous a), de la directive 86/653/CEE du Conseil, du 18 décembre 1986, relative à la coordination des droits des États membres concernant les agents commerciaux indépendants qui dispose que « 1. Les États membres prennent les mesures nécessaires pour assurer à l’agent commercial, après cessation du contrat, une indemnité selon le paragraphe 2 ou la réparation du préjudice selon le paragraphe 3.
- a) L’agent commercial a droit à une indemnité si et dans la mesure où :
– il a apporté de nouveaux clients au commettant ou développé sensiblement les opérations avec les clients existants et le commettant a encore des avantages substantiels résultant des opérations avec ces clients
et
– le paiement de cette indemnité est équitable, compte tenu de toutes les circonstances, notamment des commissions que l’agent commercial perd et qui résultent des opérations avec ces clients. Les États membres peuvent prévoir que ces circonstances comprennent aussi l’application ou non d’une clause de non-concurrence au sens de l’article 20. »
Le litige était survenu à l’occasion des faits suivants. Aux termes d’un contrat d’agence commerciale conclu entre une société belge (Herios) et une société allemande, Hérios avait le droit exclusif de vente en France, en Belgique et au Luxembourg de la société allemande. Par la suite, Hérios est devenue le commettant de NY tandis que NY est devenu son agent commercial, avec pour mission de négocier les produits de la société allemande sur le territoire des Etats membres concernés. Un peu plus tard, les trois parties ont entamé des discussions afin de décider dans quelle mesure NY pourrait prendre la place de la société Herios, dès lors que cette dernière cessait ses activités. Ce fut un échec, ce qui conduisit la société allemande à résilier le contrat conclu avec Hérios qui a alors, à son tour, procédé à la résiliation du contrat conclu avec NY. La société allemande s’est entendue avec Hérios sur le paiement d’une indemnité d’éviction. Mais NY a demandé une indemnité d’éviction pour les nouveaux clients qu’elle avait acquis au profit de Herios et pour lesquels celle-ci avait été indemnisée par la société allemande. En première instance, NY a obtenu gain de cause. Le jugement a été infirmé en appel, ce qui a poussé NY à former un pourvoi en cassation. La Cour de cassation a décidé de poser une question préjudicielle à la Cour de justice ainsi formulée : « L’article 17, paragraphe 2, sous a), premier tiret, de la [directive 86/653] doit-il être interprété en ce sens que, dans une situation telle que celle en cause, l’indemnité d’éviction due à l’agent principal dans la mesure de la clientèle apportée par le sous-agent n’est pas “un avantage substantiel” procuré à l’agent principal ? ». Selon la Cour de justice : « il convient de comprendre la question posée comme visant, en substance, à savoir si l’article 17, paragraphe 2, sous a), premier et second tirets, de la directive 86/653 doit être interprété en ce sens que l’indemnité d’éviction perçue par l’agent principal dans la mesure de la clientèle apportée par le sous-agent est susceptible de constituer, dans le chef de l’agent principal, un avantage substantiel lorsque ce sous-agent est devenu l’agent principal du commettant. »
La Cour y répond en jugeant que : « Il découle de l’emploi des termes « encore » et « substantiels », ainsi que de la précision selon laquelle les avantages que perçoit le commettant doivent résulter des opérations avec les clients apportés par l’agent ou qui ont été sensiblement développées par celui-ci, que le commettant doit profiter, après la cessation du contrat, d’un avantage qui revêt, d’une part, une certaine importance et qui, d’autre part, est en lien avec les prestations antérieures de l’agent. En revanche, le libellé de ladite disposition n’apporte aucune précision sur la nature de cet avantage. »(point n° 23).
La Cour en déduit que : « Il s’ensuit que la notion d’« avantages substantiels » visée à l’article 17, paragraphe 2, sous a), premier tiret, de la directive 86/653 est susceptible d’englober tous les bénéfices que le commettant tire des efforts de l’agent après la cessation du contrat, y compris l’indemnité d’éviction que celui-ci a perçue de son propre commettant. » (point n° 24).
La Cour rappelle ensuite des éléments essentiels du droit des agents commerciaux tels que prévus par la directive et transposés dans le droit des Etats membres (En France, dans le code de commerce, aux articles L. 134-1 et suivants). La directive vise à protéger l’agent commercial. En conséquence, son interprétation doit se faire en sa faveur. Or, son article 17 est au cœur de cette protection. Toute interprétation défavorable à l’agent doit donc être exclue (v. en ce sens CJCE, 26 mars 2009, Semen, C‑348/07, point 21, et 19 avril 2018, CMR, C‑645/16, point 35). La Cour considère que l’article 17 doit être interprété dans un sens qui contribue à cette protection qui prenne pleinement en compte les mérites de l’agent dans l’accomplissement des opérations dont il est chargé (voir, en ce sens, arrêt du 7 avril 2016, Marchon Germany, C‑315/14, point 33). C’est pourquoi la Cour juge que « l’article 17, paragraphe 2, sous a), premier tiret, de la directive 86/653 doit être interprété en ce sens que l’indemnité d’éviction qui a été versée par le commettant à l’agent principal dans la mesure de la clientèle apportée par le sous-agent est susceptible de constituer, dans le chef de l’agent principal, un avantage substantiel. »(point n° 31).
Cette première étape du raisonnement franchie, la Cour se demande ensuite si le fait que le sous-agent soit lui-même devenu l’agent du commettant principal a une incidence sur son droit à percevoir l’indemnité d’éviction prévue à cette disposition. Pour répondre à cette interrogation, la Cour rappelle dans un premier temps que « le comportement de l’agent commercial est un élément qui peut être pris en compte dans le cadre de l’analyse visant à déterminer le caractère équitable de l’indemnité d’éviction (voir, en ce sens, arrêt du 28 octobre 2010, Volvo Car Germany, C‑203/09, EU:C:2010:647, point 44), ce caractère équitable étant une condition sine qua non du paiement de cette indemnité aux termes de l’article 17, paragraphe 2, sous a), second tiret, de la directive 86/653. » (point n° 33). Afin d’apprécier cette condition, la Cour estime qu’il convient de prendre en compte « les commissions que l’agent commercial perd et qui résultent des opérations avec les clients qu’il a apportés ou dont il a développé sensiblement les opérations. ». Selon la Cour : « Dans ces circonstances, la clientèle que l’agent peut exploiter pour lui-même ou au profit d’un autre commettant fait nécessairement partie des « circonstances » visées à l’article 17, paragraphe 2, sous a), second tiret, de la directive 86/653 et dont il faut tenir compte aux fins du paiement de l’indemnité prévue à cette disposition.»(point n° 35).
La Cour considère ensuite que « Lorsque le sous-agent poursuit ses activités d’agent commercial à l’égard des mêmes clients et pour les mêmes produits, mais dans le cadre d’une relation directe avec le commettant principal, et ce en remplacement de l’agent principal qui l’avait précédemment engagé, ce sous-agent ne subit, a fortiori, aucune conséquence négative de la cessation de son contrat d’agence commerciale avec cet agent principal. »
Elle répond finalement à la question posée en jugeant que : « Il découle de l’ensemble des motifs qui précèdent qu’il y a lieu de répondre à la question posée que l’article 17, paragraphe 2, sous a), de la directive 86/653 doit être interprété en ce sens que l’indemnité d’éviction qui a été versée par le commettant à l’agent principal dans la mesure de la clientèle apportée par le sous-agent est susceptible de constituer, dans le chef de l’agent principal, un avantage substantiel. Toutefois, le paiement d’une indemnité d’éviction au sous-agent est susceptible d’être considéré comme étant inéquitable, au sens de cette disposition, lorsque celui-ci poursuit ses activités d’agent commercial à l’égard des mêmes clients et pour les mêmes produits, mais dans le cadre d’une relation directe avec le commettant principal, et ce en remplacement de l’agent principal qui l’avait précédemment engagé.