Prescriptions en droit du travail

Les prescriptions en matière de droit du travail sont diverses. Elles intéressent au premier chef les justiciables qui veulent agir en justice. Mais elles peuvent aussi notamment intéresser les entreprises désireuses de respecter la durée de conservation des données à caractère personnel. En effet, il convient de rappeler que de telles données ne sauraient être conservées au-delà d’une certaine limite sauf à encourir les sanctions prévues par le RGPD. Le principe de limitation des données doit conduire le responsable du traitement à les conserver sous une forme permettant l’identification des personnes concernées pendant une durée n’excédant pas celle nécessaire au regard des finalités pour lesquelles elles sont traitées(RGPD, art. 5).

Dans les contrats, cette durée de conservation légitime dépend de la prescription attachée à la nature de la créance pouvait faire l’objet d’une demande en justice. Or, en droit du travail, des prescriptions particulières dérogent à la prescription de droit commun en matière mobilière et corporelle telle que prévue par l’article 2224 du code civil, prescription qui est de cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.

La Cour de cassation a rendu le 30 juin 2021 cinq arrêts qui précisent certaines de ces prescriptions. Dans un premier arrêt, elle juge que « la durée de la prescription étant déterminée par la nature de la créance invoquée, l’action en paiement d’un rappel de salaire fondée sur l’invalidité d’une convention de forfait en jours est soumise à la prescription triennale prévue par l’article L. 3245-1 du code du travail » (Cass. soc. 30-6-2021 n° 18-23.932 FS-B, Sté Polyclinique Saint-François Saint Antoine c/ M. ).

Le second arrêt était relatif à un rappel de salaire fondé sur une requalification de contrat à temps partiel en un contrat à temps plein.  La salariée qui le demandait avait été déboutée par la Cour d’appel de Poitiers qui avait jugé l’action prescrite en application de l’article L. 1471-1 du code du travail qui prévoit une prescription de deux ans. Cette décision est cassée. Selon la Cour de cassation : «  La durée de la prescription étant déterminée par la nature de la créance invoquée, la demande de rappel de salaire fondée sur la requalification d’un contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps complet est soumise à la prescription triennale de l’article L. 3245-1 du code du travail. » (Cass. soc. 30-6-2021 n° 19-10.161 FS-B, M. c/ Sté A 2 propreté). Dans le même arrêt, elle juge également que « La durée de la prescription étant déterminée par la nature de la créance invoquée, la demande de rappel de salaire fondée sur une contestation de la classification professionnelle est soumise à la prescription triennale de l’article L. 3245-1 du code du travail. ».

Dans un autre arrêt (Cass. soc. 30-6-2021 n° 19-14.543 FS-B, P. c/ Sté Le Crédit Lyonnais), la Cour de cassation se prononce sur la prescription applicable en matière de discrimination. Aux termes de l’article L. 1134-5 du code du travail, l’action en réparation du préjudice résultant d’une discrimination se prescrit par cinq ans à compter de la révélation de la discrimination. Un salarié avait assigné son employeur pour qu’il soit condamné à lui verser une somme d’argent au titre du paiement de la gratification de sa médaille de travail de ses trente-cinq ans d’ancienneté. La Cour d’appel avait considéré que cette action portant sur l’exécution ou la rupture du contrat de travail était prescrite car une telle action se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l’exerce avait connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit.  La Cour de cassation casse cet arrêt en jugeant que « l’action engagée le 5 mai 2015 était fondée sur des faits de discrimination allégués commis en application d’un accord collectif conclu le 24 janvier 2011, de sorte qu’elle était soumise à la prescription quinquennale et que l’action n’était pas prescrite à la date de la saisine de la juridiction prud’homale… ». Par ailleurs, également saisie d’une demande relative à l’utilisation des droits affectés sur un compte épargne-temps, acquis en contrepartie du travail, elle considère que celle-ci a une nature salariale et casse l’arrêt d’appel qui avait admis une prescription de deux ans en vertu de l’article L. 1471-1 du code du travail.

Dans un quatrième arrêt (Cass. soc. 30-6-2021 n° 20-12.960 FS-B, D. c/ Sté Air Corsica), elle juge que  « Lorsque le salarié invoque une atteinte au principe d’égalité de traitement, la durée de la prescription est déterminée par la nature de la créance objet de sa demande » et qu’en  conséquence, la Cour d’appel « qui a constaté que la demande de rappel de salaire était fondée non pas sur une discrimination mais sur une atteinte au principe d’égalité de traitement, a exactement décidé que cette demande relevait de la prescription triennale ».

Enfin, dans un dernier arrêt (Cass. soc. 30-6-2021 n° 19-16.655 FS-B, Sté XPO Supply Chain France c/ M.), la Cour de cassation admet que « le délai de prescription d’une action en requalification d’un contrat de mission à l’égard de l’entreprise utilisatrice en contrat à durée indéterminée fondée sur le motif du recours au contrat de mission énoncé au contrat a pour point de départ le terme du contrat ou, en cas de succession de contrats de mission, le terme du dernier contrat et que le salarié est en droit, lorsque la demande en requalification est reconnue fondée, de faire valoir auprès de l’entreprise utilisatrice les droits correspondant à un contrat de travail à durée indéterminée prenant effet au premier jour de sa mission. »

De ces arrêts, il convient de retenir que la diversité des prescriptions dépend des droits en cause. La nature de la créance sur laquelle se fonde le salarié détermine la prescription applicable. La détermination du délai pour agir peut être d’autant plus délicate que la loi peut changer. Ainsi l’article L. 1471-1 du code du travail a été modifié en dernier lieu au moment de la rédaction des présentes par une loi du 29 mars 1988. Or, les arrêts de la Cour de cassation ici rapportés ont été rendus sur le fondement de dispositions plus anciennes. La variation dans le temps de ces dispositions doit notamment conduire le responsable de traitement de données à caractère personnel à contrôler régulièrement la conformité des mesures prises avec la loi.