Compétence internationale en cas de violation de droits de la personnalité d’une personne morale

Une société tchèque reproche à une personne domiciliée en Hongrie d’avoir diffusé des propos dénigrants sur son compte sur plusieurs sites et forums. Elle lui demande leur suppression. Rien n’est supprimé. La société agit donc en référé devant le président du tribunal de grande instance de Lyon aux fins de faire cesser tout acte de dénigrement à son encontre ainsi qu’à publier un communiqué judiciaire en français et en anglais sur chacun des forums concernés et à être elle-même autorisée à poster un commentaire sur les forums en cause. Elle demande enfin le paiement d’un euro symbolique en réparation de son préjudice économique et d’une somme de même montant pour celle de son préjudice moral.

Le défendeur hongrois soulève l’incompétence de cette juridiction. Saisie en appel, la Cour déclare la juridiction française incompétente au profit des juridictions tchèques. Un pourvoi en cassation est formé par la société tchèque. La Cour de cassation, après avoir repris plusieurs décisions de la CJUE relatives à la responsabilité extracontractuelle applicable en matière d’atteintes aux droits de la personnalité, énonce que « Cette jurisprudence rendue en matière d’atteinte alléguée aux droits de la personnalité au moyen de contenus mis en ligne sur un site internet est transposable aux actes de concurrence déloyale résultant de la diffusion sur des forums internet de propos prétendument dénigrants. » Elle rejette le pourvoi en considérant que puisque le centre des intérêts de la société est établi en République Tchèque tandis que son adversaire est domicilié en Hongrie : «  … seules les juridictions du premier de ces Etats, compétentes pour connaître de l’intégralité d’une demande de réparation du dommage en vertu de la jurisprudence résultant des arrêts précités Shevill et eDate Advertising ou celles du second dans lequel le défendeur est domicilié, étaient compétentes pour ordonner le retrait des commentaires prétendument dénigrants imputés à M. K… et leur rectification par publication d’un communiqué. »

La Cour considère également Il n’y a pas lieu de saisir, sur ce point, la Cour de justice de l’Union européenne des questions préjudicielles soumises par la société. Selon la Cour : « d’une part, celles-ci ne sont pas pertinentes, la demanderesse au pourvoi ayant sollicité devant la cour d’appel la rectification des données et la suppression des commentaires dénigrants et non leur inaccessibilité sur le territoire français ni la limitation à la France des mesures de publication, de sorte que le recours à la technique du géo-blocage était indifférente. D’autre part, il n’existe aucun doute sérieux sur l’interprétation de la disposition communautaire en cause, en l’état de l’arrêt précité, rendu par la Cour de justice le 27 octobre 2017, que son arrêt du 24 septembre 2019 (CJUE, Google/CNIL, C-507/17) n’est pas venu remettre en cause. »

En ce qui concerne la demande de dommages-intérêts, portée en appel à la somme provisionnelle de 10.000 €, la Cour considère au contraire qu’une question préjudicielle mérite bien d’être posée à la Cour de Justice. La Cour de cassation résume tout d’abord la question posée : « Il s’agit, donc, de déterminer si la solution consacrée par la Cour de justice de l’Union européenne dans l’arrêt précité du 27 octobre 2017, sur le fondement des dispositions de l’article 7, point 2, du règlement (UE) n° 1215/2012 doit être interprétée en ce sens que la personne qui, estimant qu’une atteinte a été portée à ses droits par la diffusion de propos dénigrants sur internet, agit tout à la fois aux fins de rectification des données et de suppression des contenus, ainsi qu’en réparation des préjudices moral et économique en résultant, peut réclamer, devant les juridictions de chaque Etat membre sur le territoire duquel un contenu mis en ligne est ou a été accessible, l’indemnisation du dommage causé sur le territoire de cet Etat membre, conformément à l’arrêt eDate Advertising (points 51 et 52) ou si, en application de l’arrêt Svensk Handel (point 48), elle doit porter cette demande indemnitaire devant la juridiction compétente pour ordonner la rectification des données et la suppression des commentaires dénigrants. »

Elle estime ensuite que cette question, déterminante pour la solution du litige que doit trancher la Cour de cassation « pose une difficulté sérieuse d’interprétation du droit de l’Union européenne dès lors que l’intérêt d’une bonne administration de la justice pourrait justifier que la juridiction compétente pour connaître de la demande tendant à la rectification de données et à la suppression de commentaires ait compétence exclusive pour connaître de la demande tendant à l’allocation de dommages-intérêts, qui présente avec la première un lien de dépendance nécessaire. »(Civ. 1re, 13 mai 2020, n° 18-24.850).